Accueillir la fragilité : « une chance » pour Sébastien Payen, Carré des Délices
Adhérent historique du Bureau des congrès, le Carré des Délices participait à la matinée dédiée à l’inclusion le 4 avril dernier. Un sujet que Sébastien Payen, son co-dirigeant et associé connait bien : le traiteur événementiel en a fait un axe stratégique pour l’entreprise. Il raconte.
« Face à la fragilité, on peut se dire qu’on n’a pas le temps, que ce n’est pas le moment. Mais on peut aussi décider de l’accueillir ». Quand Sébastien Payen reprend le Carré des Délices en 2006 avec son associé, l’objectif est de redresser la barre. « Notre axe majeur sera de comprendre ce qu’il y a d’unique chez nos collaborateurs et collaboratrices, de cerner leur appétence profonde… et de rechercher les clients en adéquation. »
Sollicité pour accueillir une demi-journée par semaine deux jeunes aux parcours sociaux et familiaux compliqués, il accepte volontiers. « On se dit qu’on peut être généreux, ça ne nous coute pas cher et on a le sentiment d’apporter notre pierre à l’édifice. » Si l’expérience se déroule globalement bien, des débordements occasionnels, qui nécessitent l’intervention de l’éducateur, finissent par mettre l’équipe en difficulté. « Au bout de deux ans, on estime qu’on a besoin de souffler et on décide d’arrêter, avec l’impression d’avoir fait notre part. »
« Et si c’était la chance de ma vie ? »
La question de la place accordée aux personnes plus fragiles finit par rattraper Sébastien Payen quelques années plus tard, au gré d’une discussion. Convaincu que les personnes « qui vont moins vite, ne sont pas fortes ou ne vont pas bien » peuvent être « la chance de sa vie », il décide avec ses équipes de faire de la fragilité un axe stratégique pour la réussite de toute l’entreprise.
Ce choix implique toutefois d’adopter une démarche et un état d’esprit. « Une fragilité “officielle” reflète nos propres fragilités, non officielles. Cet effet miroir nécessite une attitude faite de préjugés favorables et de bienveillance. Une fois qu’on accepte ça, il faut arriver à fonctionner ensemble, à trouver un mode d’entraide et de solidarité. » Et Sébastien Payen le reconnait volontiers : « Dans cette phase où l’on est au plus proche de la personne, il faut accepter de perdre un peu de temps. On chemine progressivement et les choses se mettent en place jusqu’à ce qu’on oublie la complexité des débuts ».
Et pour le dirigeant, cet investissement se trouve largement compensé par le bénéfice qu’en retire l’équipe « qui a appris à fonctionner avec une personne différente : cela nous donne une capacité supplémentaire qui se traduit par un mode d’écoute ferme et apaisée — qu’on peut aussi définir comme l’assertivité —, qui permet de bâtir un dialogue en profondeur, avec l’autre, mais aussi avec soi-même, ses clients, ses fournisseurs, et installe une relation de confiance et de coopération. »
Se faire accompagner : une condition de réussite
Pour Sébastien Payen, cette démarche doit nécessairement se faire avec l’accompagnement de professionnels. « Nous devions nous y prendre différemment de lors de notre première expérience, pour éviter de reproduire un échec. Considérant que 90 % des problèmes sont liés à des malentendus, il s’avère indispensable de recourir à des personnes ayant un rôle de “décodeur” ».
Ainsi, lorsque Le Carré des Délices a commencé à accueillir une jeune trisomique, un professionnel (responsable d’une structure spécialisée) est venu une fois par mois pour une relecture très pragmatique de ce qu’il se passait au quotidien. Alors que l’épluchage des pommes de terre était parfaitement réussi, celui des carottes laissait à désirer. « On a compris que c’était simplement trop fin pour elle, on ne lui a donc confié que l’épluchage des pommes de terre. Et ainsi de suite pour l’ensemble de ses tâches. On a ainsi avancé progressivement sur des choses très pratiques pour concentrer son travail uniquement sur ses zones de compétences, ce qui a permis de dégager du temps à d’autres personnes. Quelques freins dus à des aspects comportementaux ont également pu être levés grâce à cette relecture professionnelle. »
La jeune femme travaille aujourd’hui dans un restaurant nantais qui emploie des personnes trisomiques. De son côté, le Carré des Délices a poursuivi l’expérience avec d’autres personnes, souffrant de handicaps mentaux ou anciens détenus. L’entreprise accueille aujourd’hui un jeune « X fragile » en CDI depuis 2019, et continue à se faire accompagner. « Nous essayons de lui attribuer la place qui lui correspond le mieux dans l’entreprise en cherchant comment il peut aider à faire monter les autres en compétences, et ce qu’il apporte en plus. Tout le monde est gagnant ! »